Je me sens bien

Tu vois le monde comme je le vois, une poussière dans l’œil, et ça ne s’efface pas, jusqu'à la dernière feuille. Qu’on s’invente tous les trois, éclatés sur le sol, de mon tout petit doigt, c’était vraiment pas de bol. Tant que les enfants vont bien, qu’ils ne soient pas perdus lorsqu’on leur lâche la main, même si le petit dernier n’y croit plus. Pourvu qu’on nage, partis à la dérive, à chaque saut de page je te perds naïve. Ça bouffe du temps, ça cale l’envie, et pour combler les blancs ça n’a jamais suffis. J’ai lu vos livres ce matin, vos mots de femme un peu paumée, à m’sentir ivre au fond du train, je les ai bu en trois gorgées. Et pour tout ça je me sens bien, en ballottage dans les deux camps, acculé dans les coins, est-ce que toi aussi tu le sens ?

Tu vois le monde comme moi, sans fermer les yeux, et ça dit comme ça, qu’un jour tout ira mieux. Qu’on s’invente et qu’on en rira, tellement qu’on dégringole, casser le bout de nos doigts, sûr qu’on en rigole. Et les enfants vont bien, des années sans les avoir vus, les tiens comme les miens, on aura pas tout perdu. Ils n’ont pas étés sages, et comme nous ils écrivent, en quelques milliers de pages, que c’est comme ça qu’ils vivent. On bouffe le temps par envie, on comble les blancs même quand c’est interdit. On en a eu des livres dans les mains, et j’aime les vôtres quand même, c’est fluide et sanguin, jamais je n’en sors indemne. Et pour tout ça je me sens bien, comme l’impression de devenir grand, l’impression que ma vie n’est pas si loin, seulement si toi aussi tu le resssens.